Le Royaume-Uni est considéré comme un véritable paradis administratif pour les créateurs d’entreprises français : il est possible d’y créer sa société en un jour et au capital d’une livre ! Mais bien qu’il soit plus simple d’implanter une société en Angleterre qu’en France, il est important de se familiariser également avec les subtilités du droit du travail britannique. Julie Calleux, une des deux fondatrices et associées d’Employease, société de conseil en droit du travail britannique basée à Londres, nous en dit plus sur les différences entre la France et le Royaume-Uni en matière de législation du travail. Des propos extrêmement utiles, notamment si vous avez vous aussi le projet de tenter l’aventure entrepreneuriale outre-Manche.
D’un point de vue administratif, il est plus facile de créer une entreprise en Angleterre qu’en France. Est-ce c’est vrai également d’un point de vue du droit du travail ?
J’ai d’abord énormément de très bonnes nouvelles pour les employeurs : par exemple en Angleterre, la réglementation sur le temps de travail se limite à la directive européenne, notamment un temps maximum de 48 heures auquel le salarié peut renoncer. Il faut aussi deux ans d’ancienneté avant de pouvoir agir en unfair dismissal, l’équivalent du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Julie Calleux
En cas de procès en unfair dismissal, l’Angleterre applique des plafonds et le calcul des dommages et intérêts est très en faveur de l’employeur. En fait, le but du procès en unfair dismissal est de rembourser au salarié sa perte nette de rémunération entre le moment où il a perdu son travail et le moment où il devrait en retrouver un, avec plusieurs déductions de cette somme. Les sommes sont donc bien inférieures à la France (où les plafonds n’existent pas). Ces plafonds et la méthode de calcul est quelque chose qui rassure les employeurs.
Maintenant, il y a aussi des mauvaises nouvelles : du fait des limites du droit de l’unfair dismissal et du fait qu’il s’agit d’un pays anglo-saxon, le droit de la discrimination est très important en pratique. Le droit de la discrimination est issu du droit européen et il existe aussi en France. Cependant un praticien du droit du travail en France ne va pas forcément se pencher sur la question, alors qu’un praticien du droit du travail britannique est très familier de cette législation car elle donne accès aux tribunaux et à des dommages et intérêts non plafonnés au salarié qui s’y est vu barrer l’accès au titre du unfair dismissal.
Si le salarié veut vraiment embêter l’employeur, il peut donc utiliser le droit de la discrimination. Or un employeur à qui on a dit « avant deux ans d’ancienneté vous pouvez faire ce que vous voulez », pourra avoir du mal à se défendre devant les juridictions du travail parce qu’il n’aura presque rien sur le papier. C’est quelque chose auquel il faut faire attention, il ne faut pas faire ‘n’importe quoi’ avant deux ans d’ancienneté, il y a quand même des risques.
Un autre aspect du droit du travail britannique qui a un gros impact sur l’employeur français, c’est le fait qu’un procès en Angleterre est beaucoup plus long et onéreux qu’en France. Typiquement en France, si on est attaqué en unfair dismissal, on est convoqué à une date et six à dix affaires passent ce même jour. En Angleterre, un procès normal aura au moins trois jours d’audience et sur ces trois jours, les faits sont établis par témoins : si le licenciement a été décidé par le manager qui, lui, est resté en France, ce dernier devra venir en personne à l’audience, ce qui fait quand même très lourd en temps et en frais d’avocat. Les frais sont toujours un obstacle pour les deux parties, mais surtout pour le salarié : il n’y a pas d’aide juridictionnelle et de condamnation aux frais et dépense. On retrouve alors beaucoup de salariés qui se défendent tous seuls. Pour qu’un avocat puisse faire un bon travail, il doit passer au moins 70 heures sur un dossier. Avec des taux horaires de 250 livres, ces sommes sont énormes pour un salarié qui est au chômage. Il est donc rare que les salariés soient représentés, mais surtout il est rare qu’ils aillent jusqu’au bout.
Pour ces différentes raisons, en Angleterre, le procès reste l’exception. Personnellement, je ne suis presque jamais au tribunal. Tout se conclut très en amont et très souvent à l’amiable. Un très grand nombre de cas transigent au moment de la résiliation, il faut trouver un motif qui tienne la route, on donne un peu plus que ce que le contrat et la loi prévoient, on demande au salarié de renoncer à agir et on l’envoie consulter un avocat pour signer un document qui l’empêchera d’agir (cela se fait beaucoup, ça s’appelle la pratique du settlement agreement). La transaction de départ peut intervenir plus tard, avant d’assigner, juste après l’assignation ou 15 jours avant l’audience si le salarié n’a pas abandonné car c’est vrai qu’il faut énormément de courage pour aller jusqu’au bout.
Hors procès, quels sont les problèmes pratiques auxquels les employeurs français se confrontent le plus en Angleterre et comment les aidez-vous ?
Le problème le plus répandu est un problème de contrôle pour les employeurs basés en France avec des employés en Angleterre : très souvent, ils ont soit un directeur pays chargé du développement, soit des vendeurs. Ces gens sont à l’étranger sans manager derrière eux. On voit souvent des Français dont l’implantation rate parce que le salarié est laissé trop libre de ses action / sans direction. L’histoire la plus incroyable que j’ai eue, c’était celle d’un salarié qui était le managing director/chargé du développement d’une société qui faisait des rubans d’emballage. Les employeurs avaient découvert que le salarié avait une activité de personal trainer dans la salle de gym à côté et qu’il avait délégué son travail à un site internet basé à Bombay. Il y avait donc un manque de contrôle total.
Le premier domaine où j’interviens est donc le contrat de travail. Au moment de la rédaction du contrat, je pose des questions à l’employeur, afin que ces réponses soient présentes dans le contrat. Il y a des réponses dans le contrat de travail mais il y a aussi des réponses pratiques. Je demande toujours « Comment allez-vous contrôler ? Comment allez-vous faire le reporting ? Quels sont les instruments que vous allez mettre en place pour éviter de laisser la bride aux salariés ? »
Un employeur français a l’habitude du code du travail et des conventions collectives étendues. Un contrat de travail français peut faire deux, trois pages sans que cela ne pose aucun problème de cadre juridique ou de définition des droits puisque tout va être réglé au niveau du code du travail qui est très détaillé.
En Angleterre, le droit du travail concerne principalement des minima : minimum wage, working time etc. Mais pour un cadre, la législation est très peu applicable et c’est le contrat qui va faire la loi. Par exemple, un cadre en France a trois mois de préavis car c’est la convention collective et le code du travail qui le dit. En Angleterre, le minimum légal est el même pour tous : une semaine pour la démission, une semaine par année d’ancienneté plafonné à 12 semaines pour le licenciement, le contrat définira une durée supérieure: un mois, deux mois trois mois… C’est le contrat qui établit la règle.
Sur ce point et bien d’autres, c’est donc très important pour un employeur français de faire cet exercice sur le contrat, d’essayer d’envisager le pire et de mettre en place les règles qui lui seront utiles au moment de la résiliation.
Comment les différences culturelles entre les deux pays se ressentent-elle au niveau du droit du travail ?
La première leçon que j’ai eue quand j’ai étudié le droit du travail en France parlait de Rousseau et Lacordaire : « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et le droit qui libère ». Du fait de cette position philosophique, le grand ennemi dans le droit du travail français, c’est le contrat de travail individuel puisque le salarié est toujours présumé exploité et le code du travail et la convention collective sont là pour le protéger du pouvoir débordant de l’employeur. Le droit du travail anglais est beaucoup plus respectueux du contrat : deux parties égales qui peuvent convenir de ce qu’elles veulent avec un encadrement pour éviter les abus du pouvoir.
D’un point de vue pratique, la flexibilité du droit anglais peut aussi profiter au salarié. Si un employeur vient me dire « on a une salariée à temps partiel, une grosse commande, on aimerait lui payer des heures supplémentaires, est ce qu’on peut le faire ? », la réponse sera oui. Alors qu’en France, la réponse sera non : on ne peut pas passer de statut salarié à temps partiel à salarié à temps plein sans violer la loi. Cela empêche le salarié de pouvoir avoir des heures supplémentaires.
Employease existe depuis 1994. En 20 ans, quelles évolutions avez-vous constatées concernant les entreprises françaises s’installant en Angleterre ?
Je ne sais pas si je peux avoir une approche globale car mes observations sont basées sur mes clients, mais c’est vrai qu’en 1996, au moment du mouvement ‘la France libre d’entreprendre’ d’Olivier Cadic (qui avait démontré qu’une société qui faisait des pertes en France ferait des gains au Royaume-Uni), il y avait beaucoup d’entreprises intéressées par l’Angleterre mais pour des raisons fiscales : on leur disait « vous payerez moins d’impôts et moins de charges sociales ». Cela donnait ‘la boulangerie limited’. Cependant, ça ne marche pas pour une société ne souhaitant pas s’implanter : si une entreprise reste basée en France, le fisc français ne va pas être d’accord. Mais dernièrement, j’ai des projets beaucoup plus sérieux, mieux préparés, des gens qui déménagent, des gens qui en ont assez de l’ambiance en France et qui sont prêt, même le managing director, à venir s’implanter en Angleterre. Les projets sont mieux montés et même l’équipe dirigeante s’expatrie. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’entreprises françaises et de plus en plus de vrais entrepreneurs qui viennent au Royaume-Uni parce que c’est beaucoup plus facile, ça correspond plus à leur mentalité, il y a moins de freins administratifs et l’ambiance est beaucoup plus stimulante.
Pour finir, quel conseil donneriez-vous aux Français lisant ces lignes et désireux d’implanter leur entreprise outre-Manche ?
Bien préparer leur implantation par le biais du contrat ; bien penser à l’opérationnel ; ne pas lésiner à faire appel à des spécialistes locaux notamment au niveau marketing. Cela n’appartient pas au domaine du droit du travail mais je vois très souvent des sociétés françaises qui pensent que leur meilleur ami c’est Google Translate. Mais on ne vend pas la même chose quand on vend une marque très connue en France et inconnue en Angleterre, on n’a pas la même communication et le même marketing. Il faut s’adresser à des spécialistes locaux pour comprendre la culture locale.
Pour en savoir plus :
Julie Calleux a publié d’intéressants articles sur les particularités du droit du travail britannique, à retrouver sur le blog d’Employease et sur son profil LinkedIn.
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